Pose de la première pierre de la salle Angonia à Martres Tolosane

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Pose de la première pierre Angonia
Introduction
Cette première pierre de la salle de spectacle Angonia à Martres Tolosane a été créée par Fred Noiret, sculpteur à Martres Tolosane, en association avec l’artiste et céramiste Elvire Blanc Briand.
Elle assemble symboliquement une sculpture de main classique et une forme minimale, moderne, parallélépipède rectangle, qui prend ici la forme d’une brique, élément constructif régional.
Le tout est émaillé avec le « cimenterre », issu d’expérimentations physicochimiques effectuées par Elvire Blanc Briand et Pierre Lemaitre, chercheur et consultant physicochimiste de la terre et des émaux.
Ce « cimenterre » est l’association du ciment et de la terre, inspiré du contexte artisanal et industriel local. Ce sont des éléments physicochimiques du ciment qui ont été détournés et transformés en émail.
Ce projet est né lors de la résidence Céramique/Art Contemporain d’Elvire Blanc Briand organisée par PAHLM, Pratiques Artistiques Hors Les Murs à Martres-Tolosane en mai et juin 2021.
Cette sculpture-première pierre a été cuite dans le four de l’association Divin Bazar à Martres Tolosane et émaillée au Lycée Martin Malvy à Cazères sur Garonne avec l’aide technique de Christine Vialet, céramiste à Alan et les enseignants de la section céramique du Lycée.
Ce projet de résidence était une main tendue au territoire, à sa culture, à ses habitants. Elle a été saisie amicalement et je veux remercier chaleureusement les artistes et tous ceux qui y ont contribué.
PAHLM a proposé à la commune de Martres Tolosane que la conception de la pierre inaugurale soit confiée à des artistes et que, dans le contexte d’une ville d’art, d’artisanat, pour lequel la main est l’outil fondateur de la pratique, cet objet soit dit, exprimé en sa première apparition, en langue des signes.
Il n’y a pas de premier objet, il n’y a pas de première pierre tant qu’ils n’ont pas été tenus dans une main.
La main « provoque », au sens étymologique du terme, elle fait naître quelque chose.

La main et la brique
Texte dit en langue des signes par Sylvanie Tendron puis oralisé par Carl Hurtin.

Cette pierre est symbole d’un échange possible, d’un dialogue fécond entre tradition et modernité, artisanat, art et industrie.
Elle est symbole d’un idéal de dialogue technique et artistique.
Elle représente une main et une brique.
Est-ce la main qui tient la brique, la brique qui retient la main ?
La main donne-t-elle ou prend-elle la brique ?
La brique est-elle extraite d’un mur ou place-t-elle la brique pour le construire ?
Cette brique change d’état quel que soit le geste.
Il en est ainsi de la matière, ici de la terre, dès qu’on la manipule. Elle est prise, puis ré-orientée.
La main est l’outil premier, mais la première arme, mais la première caresse.

Fred Noiret, sculpteur, est aussi un grimpeur.
Sa main est large, volontaire et généreuse.
Elle escalade les parois, s’accroche au minéral. Le temps d’une prise, la main fait corps avec la montagne et la montagne incorpore l’humain qui affronte ses à-pics.
Il s’agit toujours d’équilibre. Un affrontement et une collaboration.
La limite est à franchir à chaque pas.
Déplacer, agile, la frontière fragile du bout des doigts, dans le dépassement de soi, dans le déplacement du corps, dans le dépassement de la matière, dans le déplacement de la terre. Grimper, sculpter, opérer un glissement de terrain.

Et puis laisser la main penser.

Le dialogue entre la terre et celui qui la façonne est aussi une question d’équilibre. Equilibre de la matière molle avant d’être cuite, équilibre du geste, dextérité.
Lutter avec les forces obscures de la gravité et s’approprier la ductilité, la plasticité de la terre, pour en extraire une forme.
Cette main, cette brique, c’est la conciliation et la collaboration, c’est la construction et l’appropriation du déjà-là.
C’est le geste de l’architecte, c’est le geste de l’usager, ils sont indispensables l’un à l’autre.
L’expérience de la main permet le savoir-faire.
Il y a comme l’idée d’un pilote automatique : le geste, après avoir été longuement pensé, puis répété, devient connaissance et réflexe. Ainsi les danseurs. Ainsi les musiciens.

Et puis laisser la main parler.

Créer, c’est aussi traduire ce qui est indicible dans le langage commun. C’est montrer ses images intérieures, les chemins tortueux et encombrés d’une pensée inaccessible, c’est présenter un signe en lieu et place de mots inaudibles.
Gilles Deleuze parle de la création littéraire comme de l’invention d’une langue étrangère dans sa propre langue. Nous pourrions en dire autant de toutes les pratiques artistiques, telles qu’elles inventent des langages de formes nouvelles, étrangères parce qu’étranges.
L’artiste pense en action, dit avec la main, transforme la pensée en matière, en objet, en image.
Mais cette main, cette brique, c’est nous. C’est à la fois notre capacité à s’aider du monde en saisissant ses aspérités, ses complexités et le pouvoir de construire.
Il nous faut nous placer à la limite et à la proue. Inventer des formes et des langages nouveaux. Avoir la main volontaire et généreuse.

Et puis laisser la main agir.

Photo : Elvire Blanc Briand, Fred Noiret et Carole Delga, présidente de la région Occitanie.