Leticia De Souza Bueno jeune diplômée 2024 de l’ENSAD de Limoges a été accueillie par le Lycée du 18 novembre au 20 décembre 2024.
J’ai proposé d’explorer le concept de tenségrité, avec l’idée initiale de créer des pièces en céramique intégrant des formes reliées entre elles dans une relation de légèreté visuelle et de poids formel contrasté. Ces contrastes seraient mis en valeur par la disposition physique des formes, reflétant une forme de tenségrité (alliance de tensions mécaniques ménageant l’intégrité, l’équilibre d’une forme composée).
Finalement, ce qui a émergé de cette exploration est le concept de l’intégrité en tension (la limite de la rupture), que j’ai pu relier aux processus des îles volcaniques. Ces îles se forment à travers des éruptions de volcans sous-marins, une image que j’ai associée à mes recherches théoriques sur l’île comme pensée, développée dans mon mémoire pendant mon master à l’ENSAD Limoges. Dans ce cadre, les îles volcaniques deviennent les métaphores des émotions les plus intenses ou oppressantes : elles illustrent une accumulation prolongée de tensions, qui peut finir par émerger à la surface sous forme d’un territoire, d’un espace ou d’une image.
Ces îles incarnent la matérialisation de la tension, dans ses multiples manifestations possibles.
L’eau, élément central de mes questions psychologiques et oniriques, joue ici le rôle d’un solvant : elle apaise ces tensions, les refroidit et les transforme. Ce processus donne naissance à des roches magmatiques, aux formes et aux textures variées et fascinantes. Ces roches représentent une sorte de dépassement : une résolution, une transformation après un moment explosif et dévastateur.
Dans la pratique, mon travail en atelier a consisté à explorer cette idée de tension par des expériences techniques. J’ai cherché à pousser les limites de la faïence noire et rouge en la surcuisant, afin de mieux comprendre ses contraintes et possibilités. Cette approche m’a permis d’approfondir ma réflexion sur la matérialité et la symbolique de la tension, tout en travaillant avec une grande liberté créative.
La vallée des tensions
La première étape de cette exploration a consisté à créer des pièces en porcelaine et en grès chamotté ton pierre, tout en ajoutant de la faïence noire et rouge afin de tester leur déformation, vitrification et de l’interaction avec le grès. Les résultats m’ont conduit à sélectionner la faiance noire pour travailler sur ce projet, la faiance rouge présentant moins de déformation et une plus grande résistance aux ‘situations de tension’.
En revanche, certaines pièces en faïence noire étaient presque sur le point de fondre, ce qui a ajouté une dynamique intéressante à mes recherches.
À partir de ces résultats, j’ai décidé de modeler des pièces en grès chamotté ton pierre, puis d’appliquer un engobe composé exclusivement de faïence noire (dont la température de cuisson maximale est fixée à 1025 °C). Ces pièces ont ensuite été cuites à 1050 °C, puis à 1100°C pour la présentation finale de ma recherche. Les formes développées s’inspirent directement du langage des roches volcaniques et des explosions qui surviennent lors d’une éruption.
L’équilibre de la tension
L’installation “L’équilibre de la tension, roches ignées” dans le Nuage du lycée cherche, à travers la tension des cordes sur les pièces, à lier les concepts qui ont été à la base de la recherche et du développement des pièces elles-mêmes. Aller au bout de la tension, à la limite de l’intégrité matérielle des éléments en terre cuite.
Enfin suspendues et tendues, ces lignes qui les relient nous font imaginer un parcours de l’une à l’autre, un dessin presque géométrique qui relie les sculptures en explosion, l’image et le langage volcanique. L’installation de cette œuvre a été l’un des moments forts de la résidence. Elle a été assemblée dans mon atelier, où j’ai tendu les câbles en imaginant l’espace où elle serait exposée. Pour la transporter sur le site, j’ai eu l’aide des étudiants de la 1BMA qui ont porté les pièces en céramique et leurs câbles respectifs, qui ont été tendus lorsque nous sommes arrivés sur le site et suspendus jusqu’à ce que j’aie fait chaque nœud de chaque câble sur les barreaux. C’était effectivement un moment de pure tension, et pas que pour moi, selon leur retour !
Le graphique de la tension volcanique
(Volcan)
Un autre moment marquant de cette résidence a été lorsque j’ai modelé un volcan avec les élèves de la classe de 1BMA. Cette expérience m’a permis de confronter mon processus créatif à de nouvelles perspectives. J’avais préparé la structure du volcan en papier journal et carton, sur lequel nous avons appliqué des plaques de grès chamotté ton pierre. Nous avons travaillé la texture de la pièce, puis appliqué un engobe de faïence noire sur l’ensemble. Le développement de cette sculpture a été mené avec sérieux et rapidité : un engagement précis et direct dans le travail.
Pour l’installation, j’ai également travaillé sur le développement d’un support pour ce volcan qui reprend les lignes de mes dessins. Ces dessins me permettent de libérer mon imagination et de visualiser différentes possibilités de création.
Ce support n’a pas été conçu comme un socle traditionnel, mais plutôt comme une continuation graphique du volcan, un dessin dans l’espace.
Réalisé dans l’atelier de maintenance du Lycée par le personnel technique, des éléments en fer de récupération ont été recoupés, soudés ou tordus pour soutenir la sculpture céramique, faisant ressortir les lignes du dessin.
Fabrication par les élèves de « roches ignées »
Ces échanges ont nourri mon travail et enrichi ma vision artistique et aussi didactique. De leur côté, les élèves ont pu découvrir ma pratique et la transposer dans des pièces plus petites fabriquées dans le cadre d’un exercice visant à produire des sculptures selon ces procédés. Leurs pièces sont installées dans l’espace habituellement attribué à l’artiste contribuant à la lecture de l’ensemble, participant de l’œuvre produite.
Pour ma part, cette collaboration m’a permis de mieux comprendre les aspects pédagogiques du processus créatif et les différentes étapes nécessaires à la réalisation d’un projet. Cette étape marque l’aboutissement de la partie céramique développée durant cette résidence.
Tension détendue
Une autre installation a été pensée pour l’exposition afin de représenter la dissolution de la tension à travers l’élément « eau ». Il s’agit d’une sculpture en terre crue formant un récipient et installée dans la salle d’exposition. Lors du vernissage et tout au long de l’exposition, les visiteurs sont invités à écrire des mots liés à la tension, leurs tensions, sur des plaquettes de terre crue et à les plonger dans cette installation. L’eau va instantanément dissoudre les mots et symboliquement les tensions, tandis que l’argile crue et sèche retrouve sa nature malléable et plastique.
Merci au Lycée Martin Malvy pour l’accueil de l’artiste en résidence et son engagement permanent pour cette présence de l’art au plus proche des élèves.
Merci aux élèves et aux enseignants de la section céramique et de l’option Arts Plastiques pour leur accompagnement et leur engagement.
Merci à l’équipe technique, Patrick Florville, Mathieu Calviac et Yannick Barthe, de son intérêt pour le projet, son soutien et son assistance technique auprès de Leticia.
Merci à l’ENSAD de Limoges d’accompagner les jeunes diplômés au sortir de leurs 5 années d’études.
Résidence financée par l’état, dispositif Pass Culture, la Communauté de Communes Cœur de Garonne et la Commune de Cazères sur Garonne.
Partenariat PAHLM – ENSAD Limoges.
Leticia De Souza Bueno est bénéficiaire du dispositif « coup de pouce ».